11

 

 

Feenie se réveilla le lendemain matin au milieu des piaillements des oiseaux. Elle essaya de se redresser, mais elle avait l’impression que son corps était recouvert de sacs de sable. Elle se rappela le ballon d’exercice. Puis elle se rappela Juarez.

Il l’avait récupérée à l’appartement de Peterson peu après une heure du matin. Récupérée comme si elle était une gamine qui avait passé la soirée en garderie chez un ami ou quelque chose dans le genre. Plus furieuse qu’elle n’aurait pu l’exprimer, elle ne lui avait pas adressé la parole de tout le trajet jusqu’à son bateau. Puis elle s’était rendue d’un pas arrogant dans sa chambre et avait claqué la porte pathétiquement mince, en espérant que la banquette était aussi inconfortable qu’elle en avait l’air. Apaisée par la perspective de sa détresse, elle s’était blottie sous les couvertures et s’était endormie comme une masse. À présent, elle avait mal aux muscles, et elle se sentait bien vivante.

Au diable le ballon d’exercice.

Elle enfouit sa tête dans les oreillers et envisagea de se rendormir. Les draps étaient doux et douillets, et sentaient l’adoucissant. Elle ouvrit les yeux. Des draps gris et un couvre-lit marine. Pas du luxe, mais confortable. Était-ce ça, le vrai Juarez ? Il était tellement secret qu’elle ne savait vraiment pas.

Feenie se redressa sur ses coudes et regarda autour d’elle. Les rayons du soleil filtraient à travers les hublots, et elle eut le premier bon aperçu de l’endroit. Le lit, tel qu’il était disposé, occupait la forme en V de la coque. Les murs étaient recouverts d’étagères qui débordaient de livres de poche. Elle parcourut les titres des yeux. Il aimait les récits de faits divers criminels et les histoires militaires, apparemment. À côté des livres se trouvaient une télévision portative et quelques objets personnels : une montre de sport, une photo encadrée, une tasse ébréchée.

Feenie observa la photo. Une femme aux cheveux sombres poussait un tout-petit sur une balançoire. La femme semblait avoir la soixantaine. Sa mère ? Et qui était l’enfant ? Celui d’un précédent mariage, peut-être ? Il fallait absolument qu’elle éclaircisse tout ça. Elle tendit la main vers la montre. Un seul coup d’œil la catapulta hors du lit.

— Juarez ! hurla-t-elle en ouvrant brusquement la porte.

Elle escalada l’échelle et le trouva en train de se prélasser sur le siège du commandant avec un journal.

Il leva les yeux.

— Salut, lança-t-il en attrapant sa tasse.

Salut ? Avait-il oublié qu’elle s’était couchée furieuse contre lui ? Et est-ce que c’était sa façon d’essayer d’être sympa ? En la laissant dormir trop longtemps ?

— Il est dix heures !

Il vérifia sa montre.

— Neuf heures cinquante-cinq.

— Je suis en retard au travail ! Mon boss va flipper !

Il leva son journal.

— Moi je trouve que tu t’en tires bien.

Elle baissa les yeux et repéra sa signature en première page. C’était la troisième fois cette semaine qu’elle faisait la couv’. Elle commença à sourire et se rappela son indignation.

— Je suis censée être à une réunion du personnel dans cinq minutes. Pourquoi tu m’as laissée dormir si tard ?

— Tu en avais besoin.

Il posa le journal sur le côté et se releva tranquillement. Puis il posa ses mains sur les épaules de Feenie et commença à les masser. Sa colère sembla s’évanouir de son corps.

— Tu as mal ?

Ses mains étaient divines et elle aurait voulu s’affaler contre lui. Elle n’en fit rien, mais elle ne réussit pas à se résoudre à lui demander d’arrêter. Il la contourna pour se mettre derrière elle et la pétrit plus profondément.

— Ça fait du bien, murmura-t-elle en espérant que ses genoux n’allaient pas se dérober.

Il avait des mains incroyables.

— On laisse tomber les poids pour aujourd’hui. On fera peut-être du cardio.

Elle gémit à la seule pensée de faire encore de l’exercice.

— Désolé, bébé. On va devoir en mettre un coup pour te remettre en forme. J’ai libéré ma soirée pour qu’on s’entraîne au tir et te donner une autre leçon d’autodéfense.

— J’ai hâte. Hé, tu es sûr que c’est vraiment une bonne idée d’aller chez Chico ? Les gars de là-bas ressemblent justement à la raison pour laquelle les femmes prennent des laçons d’autodéfense.

Il écarta les cheveux de Feenie pour pouvoir masser les nœuds de son cou avec ses pouces chauds.

— J’ai travaillé là-bas pendant des années, et je connais la plupart des types plutôt bien. Après nous avoir vus la nuit dernière, ils vont croire qu’on est ensemble, ce qui veut dire qu’ils vont surveiller tes arrières. C’est pas une mauvaise chose.

Ses mains avaient un effet merveilleux, et elle commença à repenser à sa décision de dormir seule. Elle avait besoin d’un homme. Vraiment besoin. Depuis son divorce, Cecelia n’avait cessé de pousser Feenie à avoir une aventure. Elle était convaincue qu’une distraction masculine l’aiderait à oublier Josh. Feenie n’en savait rien parce qu’elle n’avait jamais essayé. C’était peut-être bien le problème.

Non, son problème ne concernait pas son ex. Son problème, c’était que son ex-mari avait lancé un tueur à gages à ses trousses.

Mais tout de même… pour la première fois de sa vie, elle était tentée d’avoir une aventure. Et surtout avec Juarez. Il était extrêmement attirant, une pure surcharge d’hormones. Seulement quand il ne se comportait pas comme un porc exaspérant, bien sûr. Ou quand il ne l’excluait pas. Il était extrêmement attirant quand il prenait la peine d’être agréable.

Comme maintenant, par exemple.

Ses mains descendirent vers le bas de son dos et elle retint son souffle. Ses pouces s’activaient sur la tension accumulée à la base de sa colonne, et elle laissa échapper un souffle tremblant.

— J’ai besoin que tu fasses quelque chose pour moi, lui dit-il à l’oreille.

Bien sûr. Pour quelle autre raison lui manifesterait-il de la gentillesse ? Elle se racla la gorge.

— Quoi ?

— J’aimerais que tu fasses certaines vérifications sur les Garland. On manque de temps, et on a pas assez d’informations pour aller voir les autorités.

Elle se retourna. Elle ne l’avait jamais admis, mais ces demandes de renseignements constants à propos de Josh commençaient à la blesser. Elle avait envie de croire que Juarez passerait du temps avec elle même si elle n’était pas liée au Garland.

Mais, bien sûr, ce ne serait pas le cas.

— Mais tu as dit que la police était corrompue, lui rappela-t-elle. Je croyais que c’était pour ça que je devais les éviter.

— C’est le cas, ils sont corrompus, répondit-il. Ou du moins, quelques-uns. Mais il se trouve qu’ils sont justement bien placés au sein du département. Non, là, je parle des fédéraux.

— Pourquoi est-ce que tu veux aller au FBI ?

Elle savait que Josh avait des ennuis, mais ne faisait qu’en réaliser l’ampleur.

— J’ai un ami au bureau de Houston. Je le tiens au courant de mon enquête au cas où il se passerait quelque chose.

Son sang se glaça.

— Tu veux dire au cas où tu te fais tuer.

Il ne cilla pas.

— Mon contact veut m’aider, mais il lui faut plus d’informations pour prendre la relève. Jusqu’ici, je n’ai finalement que deux meurtres inexpliqués et une espèce de preuve mince et indirecte.

— D’accord. Alors qu’est-ce que tu veux que j’essaie de trouver ?

— Des documents, des relevés bancaires, tout ce qui peut relier la famille Garland au blanchiment d’argent. S’ils écoulent la quantité de drogue que je pense, alors on parle de fonds très sérieux.

— Tu penses que les parents de Josh sont aussi impliqués ? Ça me semble plutôt tiré par les cheveux.

Juarez haussa les épaules.

— Je n’en suis pas certain, mais ce cabinet où travaillent Josh et son père ferait une bonne couverture pour déplacer de l’argent ici et là. Bert Garland n’est-il pas l’associé principal ?

Feenie avala sa salive.

— Si.

— Alors il est tenu de savoir si son fils y déplace de l’argent. Ou alors, peut-être qu’il l’aide.

Ça devenait beaucoup trop bizarre. Son ancien beau-père trempant dans un trafic de drogue ? Ça ne s’imprimait pas. Feenie n’avait jamais été très proche de lui, ni très chaleureuse, mais elle eut des difficultés à l’imaginer en train de blanchir de l’argent pour un cartel de drogue. Elle éprouva encore plus de difficultés à l’imaginer purger une peine de prison fédérale.

— Pourquoi tu penses que les Garland blanchissent de l’argent ?

— J’ai mes raisons.

— Qui sont ?

— Tu as du temps, là ?

Touché. Pas vraiment. Mais tout de même, elle voulait comprendre ce qui se passait.

— Donne-moi la version abrégée, dit-elle.

— D’accord. Tu te souviens d’une histoire, il y a quatre ans, à propos de la brigade des stupéfiants et de l’opération Money Trace ?

Quatre ans lui semblaient des siècles et, à l’époque, elle s’intéressait plus aux magazines de décoration qu’aux journaux qui se trouvaient en dessous.

— J’ai dû louper l’article.

— Ça a commencé avec un démantèlement à Kimble County, expliqua-t-il, où ils ont pris plus de deux millions en cash. Ça les a menés à cette exploitation de plusieurs agences, où les autorités ont trouvé une putain de quantité de produits et identifié plus de deux cents millions de dollars qui provenaient de la drogue.

— C’est la version abrégée ?

— Contente-toi d’écouter. Ça a été un démantèlement majeur. Le chef du cartel de Saledo a fini en prison. Tu as déjà entendu parler de Jorge Saledo ?

— Non.

— Et Manuel Saledo ? Ou plutôt Manny. Il a pris la relève de son frère il y a quelques années.

— Aucun de ces noms ne me dit quoi que ce soit, dit-elle.

Juarez sembla déçu.

— Quoi, tu pensais peut-être que je les avais reçus à dîner ? À boire des bières et manger des clubs-sandwichs au bord de la piscine ?

Il soupira.

— Tu pourrais garder ton sarcasme et m’écouter, pour une fois ? Jorge Saledo qui finit en prison, c’était une grosse complication. Mais ça n’a pas ralenti les trafiquants très longtemps. Ils ont commencé à tester de nouveaux moyens de faire entrer leurs produits au États-Unis, et passer l’argent au sud de la frontière. Pendant l’enquête, beaucoup d’entreprises qui avaient des liens avec les Mexicains étaient dans la ligne de mire, alors les cartels se sont mis à chercher des moyens plus subtils de blanchir l’argent. Ils ont commencé à élargir leurs contacts avec des non-Mexicains pour moins attirer l’attention.

— Des non-Mexicains, dit-elle. Comme Josh, tu veux dire.

— Il a le profil. Il est blanc, avec beaucoup de relations haut placées, jamais eu d’ennui avec la loi. C’est une super couverture.

— Et tu penses que Josh se sert de son cabinet ? Ça me semble complètement invraisemblable.

— Peut-être, dit-il. J’ai besoin d’avoir accès aux dossiers financiers pour les soumettre à un comptable et savoir s’il y a quoi que ce soit de louche.

— Et s’il n’y a rien de louche ?

— Alors on continuera de chercher. Le cabinet n’est pas la seule possibilité. Ton ex a d’autres investissements, n’est-ce pas ?

— Ouais. Il y a quelques affaires immobilières, mais j’y connais pas grand-chose.

— Quoi d’autre ?

— Rien qui me vienne à l’esprit pour l’instant. Sauf peut-être…

— Quoi ?

Elle prenait un chemin risqué, là, mais c’était le cas de l’idée entière de Juarez.

— Son oncle possède une petite chaîne d’épiceries dans la vallée, et le père de Josh en est un associé passif. À une époque, ils ont parlé d’y faire entrer Josh, mais je ne sais pas s’il les a suivis ou non.

— C’est bien. Ça pourrait donner quelque chose. Peut-être que Garland se sert d’un de ses investissements – ou d’une combinaison de plusieurs – comme couverture. J’ai besoin de dossiers financiers pour voir si rien ne cloche.

Feenie souffla. Sa mission devenait de plus en plus compliquée au fur et à mesure que les minutes passaient.

— Tu as l’air d’oublier que je ne fais plus partie de la famille Garland depuis deux ans. Qu’est-ce que tu crois qu’ils vont faire ? M’inviter chez eux pour me montrer leurs relevés de comptes ?

— Non.

— Comment veux-tu que je mette la main sur toutes ces preuves ? Je ne saurais même pas où chercher.

— Sers-toi de ton intuition féminine. Tu as vécu avec ce type pendant cinq ans. Où est-ce que tu penserais qu’il cacherait quelque chose, toi ?

Elle observa son expression. Inflexible. Déterminée. Elle n’avait encore jamais réalisé à quel point il pouvait être tenace quand il voulait quelque chose. Que le Seigneur lui vienne en aide s’il exerçait cette même ténacité sur elle !

— D’accord, répondit-elle. Je vais y réfléchir. Mais en attendant, j’ai un boulot à faire, des factures à payer, et ton ami vient chez moi ce week-end pour commencer les réparations. Il veut une caution. Je dois pointer au bureau aujourd’hui, travailler un peu et prendre mon chèque.

Il ne sembla pas totalement satisfait, mais au moins, il laissa couler.

— Ça me va. Je te dépose. Mais ne quitte pas le bâtiment. Sous aucun prétexte. Quand tu as fini, je passe te prendre.

— Cette histoire de garde du corps va très vite se fatiguer toute seule. Comment est-ce que je suis censée faire mon boulot de journaliste si je ne quitte jamais le bâtiment ? Il n’y a pas des masses d’histoires que je peux couvrir par téléphone.

Il s’approcha d’elle et posa les mains sur ses épaules, et elle réalisa que le contact physique était l’une de ses nombreuses techniques pour obtenir ce qu’il voulait.

— Ça ne sera plus très long, j’espère, dit-il. J’ai quelques nouvelles pistes sur lesquelles je vais me pencher aujourd’hui. Si je peux dénicher l’identité de ce tueur à gages, ensuite je devrais plus tarder à avoir la situation bien en main.

Qu’est-ce que ça voulait dire, ça, exactement ?

— Pourquoi est-ce que j’ai le sentiment que tu ne me dis pas tout ?

Il haussa les épaules.

— Il y a des choses que tu préfères ne pas savoir. Crois-moi.

Bien sûr. Elle devrait le croire.

Il fit glisser ses mains le long de ses bras.

— Alors, c’est quoi cette obsession avec les détecteurs de fumée ?

Elle vit de la préoccupation dans son regard et se demanda une nouvelle fois s’il était sincère.

— Tu changes de sujet, dit-elle.

— Est-ce que ça a un rapport avec Garland ?

Elle soupira.

— Non. Ça a un rapport avec ma mère et ma sœur.

— Je croyais qu’elles étaient mortes dans un accident de voiture ?

Seigneur, il était persévérant.

— Oui.

Elle s’éclaircit la voix.

— Mais la voiture a pris feu et…

— Compris.

— Je me sens simplement mieux, tu vois, quand il y a un détecteur de fumée…

— J’ai pigé. Tu n’as pas besoin de m’expliquer.

Elle le regarda avec circonspection.

— Tu ne me trouves pas bizarre ?

— Qu’est-ce que ça fait, ce que je pense ! Si tu te sens mieux avec un détecteur de fumée, alors je vais t’en trouver un.

— Tu n’es pas obligé…

— Oublie, d’accord ? Je t’en trouverai un. C’est pas grand-chose.

 

John McAllister monta les marches du perron de Feenie et appuya sur la sonnette. Où diable était-elle ? Elle n’était pas venue à la réunion du personnel de ce matin, et elle ne répondait ni à son téléphone ni à son bipeur. Il avait essayé d’appeler chez elle, mais apparemment, la ligne avait été coupée.

Il n’avait pas le temps pour cette merde. Il devait lui parler. Il appuya une nouvelle fois sur la sonnette tout juste quand la porte s’ouvrit d’un coup sec.

Mais ce n’était pas Feenie.

— Bonjour.

Cecelia Wells se tenait devant lui, avec le sourire de mille watts qui était sa marque de fabrique.

Elle portait l’une de ces tenues de tennis blanche, qui moulait tout le corps et atteignait à peine le haut de ses cuisses. Putain.

Pour une fois, il était complètement à court de mots.

— Vous cherchez sûrement Feenie, dit-elle gaiement. Elle n’est pas là pour l’instant. Et vous êtes… ?

— Heu…

Seigneur, elle n’avait aucune idée de qui il était. Bien sûr que non. Pourquoi le saurait-elle ?

— John McAllister, parvint-il enfin à répondre.

Elle tendit la main.

— Cecelia Strickland. Je suis une amie de Feenie.

Strickland. D’accord. Elle était mariée maintenant. Il le savait. Il mit quelques secondes à lui serrer la main, en espérant qu’elle ne remarquerait pas qu’il était totalement crétin.

— J’allais lui laisser un mot, dit Cecelia en ouvrant plus grand la porte. Elle ne répond pas au téléphone.

Apparemment, elle n’avait donc pas remarqué, ou alors elle était trop polie pour lui lancer quelque chose du genre : « Qui diable êtes-vous et que faite-vous sur le perron de mon amie au milieu de la matinée ? »

— Vous voulez lui laisser un message aussi ? demanda-t-elle à la place.

— Heu, oui bien sûr.

Elle lui tourna le dos et s’enfonça dans la maison. Il la suivit à l’intérieur en essayant de ne pas garder le regard braqué sur ses jambes sous cette jupe.

— Vous êtes de la Gazette, c’est ça ? demanda-t-elle tandis qu’ils entraient dans le salon. Feenie m’a parlé de vous, et m’a dit que vous travailliez ensemble sur un article.

La pièce ne contenait presque aucun meuble à l’exception d’une table basse et d’un canapé poussé contre le mur. Il n’avait plus de coussins et les accoudoirs étaient déchiquetés. Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?

— Je lui ai laissé un mot sur la table, dit Cecelia. Il y a du papier là, si vous voulez lui écrire quelque chose.

Elle lui tendit un stylo et un post-it en lui effleurant la main.

Bon, et maintenant ? Il l’avait suivie à l’intérieur, et elle s’attendait à ce qu’il laisse un message. Mais il était hors de question de mettre par écrit, sur un bout de papier au beau milieu du salon de Feenie, la rumeur qu’il avait entendue au commissariat. Il devait lui parler en personne. Tout de suite. Il baissa les yeux sur le papier. Puis il les releva, et vit que Cecelia lui souriait.

— C’est bon, lui dit-elle. Je suis au courant de toute l’histoire concernant Josh. Mais même si je ne l’étais pas, je ne suis pas une fouineuse, donc pas la peine de vous inquiéter.

— Vous entrez toujours comme ça dans la maison de vos amis ? demanda-t-il.

Son sourire s’élargit.

— Juste celle de ma meilleure amie. J’ai la clé. Elle laisse la maison ouverte la moitié du temps, de toute façon. C’est pas comme s’il y avait grand-chose à voler.

Il regarda autour de lui. Feenie ne plaisantait pas, apparemment, quand elle disait qu’elle avait un budget serré.

Il reporta de nouveau son attention sur le papier qu’il tenait à la main et y griffonna quelque chose d’insignifiant.

— D’accord, ces derniers temps, elle essaie d’être plus prudente, poursuivit Cecelia.

Elle balançait un porte-clés au bout d’un doigt. Il n’avait pas fait attention à ses mains, jusqu’ici. Elles étaient douces et féminines, comme tout le reste chez elle.

Elle essaie d’être plus prudente. Il se rappela la raison pour laquelle il était venu. Feenie était mêlée à quelque chose de dangereux, et il devait la prévenir. Il déposa le mot sur la table et se tourna vers Cecelia.

— Vous n’avez aucune idée d’où je peux trouver Feenie ? C’est vraiment important.

Un petit sillon se creusa entre les sourcils de Cecelia.

— Quelque chose ne va pas ?

— Non. Enfin, je veux dire, certainement pas.

Elle semblait maintenant franchement inquiète.

— C’est en rapport avec le travail, acheva-t-il maladroitement.

— Eh bien, vous pourriez essayer chez Rosie. Il se peut qu’elle y soit allée manger un morceau. Ou peut-être qu’elle est revenue au journal ?

— J’en viens.

Il regarda sa montre et se dirigea vers la porte.

— Bon, je dois y aller. Si vous la voyez, dites-lui de m’appeler.

Elle sourit.

— Bien sûr. Ravie de vous avoir rencontré, McAllister.

Il la regarda.

— C’est bien comme ça qu’on vous appelle, non ?

Elle semblait de nouveau inquiète.

— Feenie a toujours dit…

— Non, c’est bien. Vous pouvez m’appelez… n’importe.

Merde. Il tendit la main vers la poignée.

— Je dois vraiment filer.

 

Feenie était assise dans le solarium de Dottie Garland, tentant d’ignorer le nœud dans son estomac en tripotant une de ses boucles d’oreilles avec nervosité. Elle ne s’était pas retrouvée chez les parents de Josh depuis presque deux ans, et malgré la bonne relation qu’elle avait gardée avec son ancienne belle-mère, c’était un chouia gênant de se retrouver chez elle. Feenie jeta un coup d’œil à sa montre. La femme de ménage était partie prévenir Dottie depuis presque dix minutes et cette dernière n’était toujours pas apparue. Et si Dottie appelait Josh ? Mais pourquoi le ferait-elle si elle n’avait aucune idée de ce que mijotait son fils ?

Peut-être que Dottie était déjà au téléphone avec Josh quand la femme de ménage était venue la prévenir que Feenie l’attendait au rez-de-chaussée. Et si Josh lui avait dit de l’éviter pour qu’il ait le temps de…

— Feenie !

Dottie apparut dans l’encadrement de la porte avec un sourire et, les bras tendus, elle s’approcha de Feenie pour lui prendre les mains. Elle portait un tailleur en lin jaune et des escarpins assortis avec de petits nœuds sur les orteils.

— Quelle charmante surprise ! Qu’est-ce qui t’amène ?

Après qu’elles se furent fait la bise, Feenie ramassa la pile de journaux qu’elle avait apportée et plaqua un sourire sur son visage.

— J’étais dans le quartier, et je voulais déposer ça. Je me suis dit que vous voudriez des exemplaires supplémentaires.

La propriété des Garland avait été le point d’attraction de la Tournée des Maisons et Jardins du printemps, et la Gazette avait publié un article dans le journal du dimanche précédent.

— Eh bien, comme c’est gentil ! s’exclama Dottie.

Ouais, c’est ça. Une vraie crème.

— Les photos de votre maison sont tellement réussies, ajouta Feenie, avec la sensation, en plus d’être une menteuse, d’être une véritable lèche-cul.

Dottie lui fit un sourire radieux.

— Oui, n’est-ce pas ? Bert et moi, nous étions vraiment ravis de la façon dont ça rendait. Et l’article de Mary-Beth était adorable.

— Alors, la Tournée des Maisons et Jardins a été couronnée de succès ?

— Oh, oui, répondit Dottie. On a presque doublé le taux de participation de l’année dernière. Et on a récolté cinq mille dollars pour l’embellissement du parc. On va installer une piste piétonne et une piste cyclable au Laguna Bonita, cet été.

— On dirait que quelqu’un va devoir écrire un suivi.

Feenie lui tendit la pile de journaux.

— Mary-Beth est plutôt submergée en ce moment, mais je serais ravie de m’en occuper. Est-ce que Bert et vous seriez disponibles bientôt pour une interview ? J’aimerais beaucoup avoir son point de vue sur toutes vos activités philanthropiques. On pourrait peut-être faire ça à son cabinet, pour ne pas l’incommoder.

Dottie semblait incertaine.

— Je ne sais pas. Bert n’aime pas avoir sa photo dans le journal. Il n’est pas aussi photogénique que Josh.

— Eh bien, nous n’avons peut-être pas besoin de faire de photo, cette fois-ci. Je resterai brève. Seulement quelques commentaires.

Feenie s’était creusé la cervelle pour trouver un moyen de pénétrer le cabinet de Josh, et interviewer son père pendant les heures de travail était ce qu’elle avait trouvé de mieux.

— Vous pourrez peut-être faire de la publicité pour la piste piétonne et cyclable et attirer quelques sponsors locaux, suggéra Feenie.

— Ça, c’est une idée. Je n’avais pas pensé à impliquer des entreprises locales.

Dottie joignit les mains et ses bagues étincelèrent à la lumière.

— Je vais essayer de convaincre Bert. Mais il faudra que ce soit la semaine prochaine. Il a une clôture demain après-midi, et ensuite il va pêcher en haute mer avec Josh. Ils partent toute la semaine. Qu’est-ce que tu dis de lundi ? Je vérifierai avec la secrétaire de Bert.

Feenie tenta de rester neutre.

— Lundi sera très bien si cette semaine est chargée… Je ne savais pas que Josh aimait la pêche en haute mer.

Dottie fit un geste vague de la main.

— Il n’aimait pas jusque-là, mais tu sais combien il aime l’eau. Bert et lui y sont allés très souvent ces derniers temps.

Sans blague ?

— Est-ce que ça mord ?

— J’imagine, répondit Dottie en souriant. J’ai un congélateur rempli de poisson, et on ne sait plus comment les cuisiner !

 

Juarez venait de passer deux bonnes heures au téléphone quand Teresa passa la tête dans son bureau.

— Je vais déjeuner, dit-elle. Je te rapporte un sandwich ou quelque chose ?

Il jeta un coup d’œil à sa montre. Déjà presque une heure, et il était encore en train de vérifier les antécédents de Ruiz qui avait soi-disant purgé une peine à Sugar Land. Il espérait sacrément ne pas avoir besoin d’aller jusque là-bas. Il devait absolument rester dans les parages pour garder un œil sur Feenie.

— Non, merci, répondit-il. Hé, mon ami du FBI n’a pas appelé, si ?

— Tu étais au téléphone. J’ai posé le message sur ton bureau, juste là.

Le post-it rose était sous sa tasse.

— Merde, je le savais, murmura-t-il en le parcourant des yeux.

Le NIBIN[11] la base de données nationale et médico-légale de l’identification balistique des armes à feu avait relié les balles des meurtres de Martinez et de Doring. Ils avaient été commis avec la même arme, ce qui signifiait très probablement par le même tueur.

— Est-ce que tu as rappelé Wainwright ? demanda Teresa. Il commence vraiment à s’impatienter à propos de l’affaire des indemnités des travailleurs. Et la compagnie d’assurances du Corpus a rappelé ce matin. Ils veulent être tenus au courant avant cinq heures.

— Hein ?

Juarez leva les yeux. Teresa avait les sourcils froncés, ce qui commençait à devenir son expression habituelle ces derniers jours. Il savait qu’elle était angoissée par l’état chaotique de l’entreprise, mais il ne pouvait pas y faire grand-chose pour l’instant. Dernièrement, il avait relégué au second plan tout ce qui ne concernait pas Paloma. Au cours des semaines précédentes, il avait totalement dépassé le stade où il se préoccupait encore de ses autres clients.

— Wainwright. Et la compagnie d’assurances. Ils veulent tous les deux te parler.

— Je vais m’en occuper, dit-il. Hé, j’attends toujours le carnet d’adresses du Corpus.

Juarez éprouvait des difficultés à retrouver cette Blazer, alors il avait demandé à Teresa d’appeler le commissariat du Corpus pour obtenir une liste récente des voitures volées. Il avait déjà vérifié celles de San Antonio et d’Austin.

— Je te l’ai posée dans ta boîte.

— Ah oui. Merci.

Il s’en empara et prit un instant pour adresser à Teresa un sourire rassurant. C’était une bonne assistante. Il en avait viré deux autres avant de réussir à la débaucher de son poste au courrier du commissariat de Mayfield. Il se demandait si Feenie avait raison quand elle disait que Teresa s’ennuyait.

Il baissa les yeux sur la pile de dossiers négligés.

— Hé, ça te dirait de gérer le dossier des indemnités pour Wainwright ?

Elle haussa vivement les sourcils.

— Moi ?

— Ouais, je suis un peu submergé. Tu pourrais feuilleter le dossier, faire une liste de tout ce qui te met la puce à l’oreille, de toutes les incohérences.

Il lui tendit le dossier.

— Si tu estimes que la demande est frauduleuse, on mettra au point un plan d’attaque pour trouver des preuves.

— Vraiment ?

Elle sourit d’un air radieux et s’empara du dossier.

— J’adorerais m’en occuper. En fait, j’ai déjà feuilleté le dossier, alors ça ne devrait pas me prendre très longtemps pour trouver quelque chose.

— Super, dit-il. On en rediscutera plus tard. Va manger, bon appétit.

Teresa était déjà plongée dans le dossier. Elle leva les yeux.

— Quoi ? Oh. Je pense que je vais regarder ça d’abord.

Feenie avait vu juste, apparemment. Il devait admettre qu’elle avait de bons instincts sur les gens.

Sauf quand ça concernait son ex. Bien sûr, Josh avait ce look cent pour cent américain de sportif de base qui faisait baver les femmes. Elle avait dû lui tomber dans les bras à la minute où il avait décidé qu’il avait envie d’elle.

Juarez feuilleta la liste. Une GMC Jimmy brun clair avait été déclarée volée la semaine précédente au Corpus. Sa plaque commençait par UT8.

Était-il possible que Feenie ait confondu la Jimmy avec une Blazer ? Très possible. Il lui reposerait la question.

Et voilà la merveille : le Corpus était la dernière adresse permanente de Vince Rawls, l’un de ses deux principaux suspects. Juarez avait travaillé sur le profil complet du type et savait que l’ancien lieutenant de la Marine avait un frère qui gérait un commerce de pièces de voitures volées au Corpus. Coïncidence ? Certainement pas.

Merde. Depuis que Feenie lui avait donné cette liste des contacts de Garland, il avait été certain que Brassler était son homme. Désormais, il semblait que c’était plutôt Rawls.

Peut-être que Garland avait engagé plus d’un homme. Brassler s’était chargé de Paloma et de son partenaire, et maintenant Rawls voulait la peau de Feenie.

Juarez devait en être certain. Il fallait qu’il en trouve plus sur ce Ruiz à Sugar Land et qu’il sache s’il était affilié à quelqu’un en particulier. Et alors Juarez pourrait lui payer un petit séjour derrière les barreaux. Peut-être même qu’il serait prêt à négocier une réduction de peine en échange de ce qu’il savait de ces crimes. Ce serait difficile à obtenir, cependant. Au Texas, admettre son implication dans le meurtre d’un flic était le moyen le plus sûr pour finir dans le Couloir de la Mort.

Les choses se corsaient. Ce serait tellement plus facile si les fédéraux pouvaient réunir assez de saletés sur Garland pour lui faire subir un interrogatoire ! C’était évidemment lui qui avait orchestré toute cette merde, et c’était lui qui avait toutes les réponses. Juarez se serait coupé un bras pour avoir l’opportunité de voir Josh Garland pourrir derrière les barreaux pour le restant de ses jours. Ce connard prétentieux méritait d’en baver, et Juarez avait bien l’intention de s’en assurer.

Feenie l’y aiderait. Juarez était certain qu’elle détenait des informations de l’intérieur, comme l’histoire du BlackBerry, avec lesquelles elle n’avait pas encore fait le rapprochement. Et c’était un gros coup de chance que sa meilleure amie soit mariée à l’ancien comptable de Garland. Juarez était pratiquement certain que Feenie allait péter un plomb s’il lui suggérait d’aller renifler du côté de Robert Strickland, mais il devait y avoir un moyen plus subtil de savoir si ce dernier était au courant de quelque chose. Juarez s’était renseigné sur lui, et il semblait clean – trop clean, en fait – mais ça ne voulait pas dire qu’il était blanc comme neige. Il se pouvait qu’il sache très bien effacer ses traces.

Encore une fois, Feenie pourrait l’aider à le découvrir.

Il comptait sur elle pour beaucoup de choses. Plus que ça ne lui plaisait, en réalité. Mais il n’avait pas le choix. Son objectif principal était de livrer les meurtriers de sa sœur à la police. Et il ferait tout ce qu’il faut pour y parvenir. Si Feenie rechignait à l’aider, alors il lui faudrait trouver un moyen de la convaincre.

 

Feenie ralluma son téléphone portable en quittant la maison de Dottie. Quatre nouveaux messages. Un de Cecelia et trois de McAllister. Alors ça, c’était curieux. Elle composa son numéro.

— Merde, Feenie. T’étais où ?

— Sympa comme accueil, dit-elle.

— Tu ne gardes pas ton téléphone avec toi ? Bon sang, je t’ai cherchée toute…

— Qu’est-ce qui se passe ?

Ça ne ressemblait pas à McAllister de s’inquiéter. Il ne s’inquiétait jamais de rien. Jamais. Sauf peut-être de s’envoyer en l’air.

— Le rapport balistique vient d’arriver pour Doring, déclara-t-il. Les balles retrouvées sont les mêmes que celles du Corpus Christi. Tu te souviens de Rico Suave ? La même arme.

— D’accord.

— Même arme, même tireur, dit-il. Ou du moins c’est ce que pensent les flics.

— Je le savais déjà. Juarez me l’a dit.

Silence à l’autre bout du fil.

— McAllister ?

— Eh bien, est-ce que ta source t’a parlé de la rumeur selon laquelle quelqu’un préparait une liste noire ? Et que ton nom y figure en bonne place ?

Son estomac fit un bond.

— D’où tu sors ça ?

— C’est un des informateurs qui l’a balancé. Un ami à moi au ministère me l’a rapporté.

— Un informateur ?

— Oui. Alors, tu étais au courant ?

Elle ferma les yeux, mais les rouvrit très vite puisqu’elle conduisait la Tercel de Drew pour se rendre au journal. Elle vérifia dans son rétroviseur principal, comme pour apercevoir le fantôme de la Chevy Blazer, mais elle ne vit rien.

— Juarez a parlé de…

— Est-ce que t’es malade, putain ? Laisse tomber cette histoire, Feenie !

— Mais…

— Tu es déjà allée trop loin.

Sa colère explosa.

— À la salle de billard, tu m’as dit que tu voulais que je t’aide ! Bon sang, t’es exactement comme Juarez !

— Quoi ?

— Tu veux mon aide, mais ensuite tu veux m’écarter !

— Écoute, Feenie, je comprends ton ambition. Vraiment. Mais tu peux avoir une promotion sans t’occuper de cette histoire. Alors laisse tomber avant qu’il t’arrive quelque chose. Je te dis…

— Tu peux te garder ton sermon. Je n’ai plus besoin que les hommes me disent ce que je dois faire, désormais.

— Oh, super, nous y voilà avec les conneries féministes. Je suis sérieux, Feenie. Reste à l’écart de tout ça. Et tes amis, aussi. J’ai vu Cecelia Wells et elle semblait tout savoir sur ton enquête. Ça la met en danger, elle aussi. Est-ce que t’y as jamais pensé ?

Quand est-ce que McAllister avait rencontré Celie ? Et comment connaissait-il son nom de jeune fille ?

— Elle s’appelle Cecelia Strickland, rectifia Feenie, et j’essaie de la tenir à l’écart de tout ça. Mais c’est un peu difficile ; elle n’est pas totalement idiote, elle me connaît et elle connaît Josh, alors elle est capable de faire le rapprochement toute seule.

De plus, elle était avec Feenie cette nuit-là près du hangar à bateaux de Josh, et il était donc impossible qu’elle ne découvre pas qu’il se tramait quelque chose.

McAllister était tout à coup devenu très silencieux.

— McAllister ?

— Sois prudente, Feenie. Je suis sérieux.

Et il raccrocha.

 

Feenie stabilisa ses bras et visa la cible. Elle appuya sur la détente et vit un trou déchirer la silhouette.

— Pas mal, dit Juarez.

Elle baissa les bras et sourit. L’entraînement se passait beaucoup mieux aujourd’hui.

— Merci. Je préfère cette arme.

Juarez sourit d’un air satisfait.

— Je m’en doutais. Elle est légère comme une plume.

Feenie retourna le revolver Smith & Wesson et examina la crosse noire. Elle tenait bien dans sa main. Le .38 était très compact et, même s’il n’était pas exactement léger comme une plume, il pesait bien moins lourd que le Glock de Juarez.

— Où est-ce que tu l’as trouvée, d’ailleurs ?

— C’est à ma mère.

— Ta mère ?

— Je lui ai acheté quand mon père est mort, expliqua-t-il. Quelqu’un s’était introduit dans la maison.

— Elle a été blessée ?

Il crispa la mâchoire.

— Non. Elle n’était pas à la maison, mais ça lui a fait très peur. J’ai pensé que ça la rassurerait d’avoir une arme.

— C’est le cas ?

— Nan, elle veut pas y toucher. Il est simplement posé sur une étagère de sa penderie. Elle a jeté les munitions, alors j’ai laissé tomber et je lui ai acheté un chien.

— Ça doit être difficile d’être veuve, dit-elle en espérant qu’il lui parlerait un peu plus de sa famille.

Mais bien sûr, ce ne fut absolument pas le cas. Il se contenta de lui tendre encore d’autres balles. Feenie le regarda en espérant qu’il s’ouvre un peu avec elle, mais elle en doutait beaucoup.

Feenie rechargea l’arme et fit de nouveau une série. Et, de nouveau, un tir infaillible. Il s’approcha d’elle et plissa les yeux vers la cible.

— Tu fais vraiment des progrès. Tu es sûre que tu ne t’es pas servie d’une arme récemment ?

— Seulement hier avec toi.

— C’est inné, alors.

Feenie remarqua son expression détendue et vit là l’occasion parfaite.

— J’ai parlé à Dottie Garland aujourd’hui.

Elle posa son arme en évitant de le regarder, puis appuya sur le bouton qui ramenait la cible. Cette fois-ci, la plupart de ses coups avaient touché la silhouette.

Elle jeta un coup d’œil à Juarez et ne fut pas surprise de voir qu’il la regardait avec les sourcils froncés.

— Au téléphone, j’espère ?

Elle décrocha la cible et l’approcha de lui pour qu’il la voie bien.

— Plutôt pas mal, si je peux dire ça de moi-même.

Il ignora la tentative de distraction et croisa les bras.

— Ne me dis pas que tu es allée là-bas.

Elle ne répondit pas.

— Je croyais t’avoir dit…

— Tu m’as demandé de t’aider, alors j’aide. C’est difficile de glaner des informations par téléphone. En plus, Josh n’était pas là. Je me suis assurée qu’il était au bureau avant d’y aller.

— Feenie…

— J’ai obtenu quelques infos utiles. Josh et son père vont pêcher en haute mer. Ils partent demain. Dottie m’a dit qu’ils partaient souvent pêcher ces derniers temps.

Juarez pencha la tête sur le côté et la regarda de haut en bas. Comme elle l’avait soupçonné, la valeur de l’information surpassa son inquiétude vis-à-vis d’elle. Elle sentit une pointe de déception, mais se força à l’ignorer.

— À quelle heure ils doivent partir ? demanda-t-il.

— Demain soir, je pense. Tu veux les suivre ? Ce serait un bon moyen d’en apprendre un peu plus sur leur opération.

— Ça dépend.

— De quoi ?

— De toi, dit-il. Je ne suis pas sûr de pouvoir te faire confiance pour éviter les problèmes tant que je suis parti. Le bilan de ta capacité à suivre les instructions n’est pas glorieux.

— Ah ouais ? Eh bien, ne t’inquiète pas pour moi. Tu sauras exactement où je suis, puisque je viens avec toi.